Tableau de la Sainte-Trinité

6 septembre 2016

Le tableau de la Sainte-Trinité de l’église de Robion - XVII°s


En partenariat avec la municipalité de Robion et le Conseil départemental du Vaucluse, le tableau de la Sainte-Trinité de l’église de Robion va être prochainement restauré. Ce tableau se situe dans la remarquable chapelle Saint-Roch (vocable qui date du XVIIIe siècle), ou chapelle des seigneurs de Robion - les Brancas-Céreste - dont les armoiries sont représentées sur la voûte. Cette chapelle date du XVe siècle.

Le tableau est daté du XVIIIe siècle par André Dumoulin dans sa monographie de Robion, et du XVII°s par les différentes estimations. Les dimensions de ce tableau sont hors cadre de 210 cm x 186 cm et avec cadre 235 cm x 193 cm.

​Il y a plusieurs tableaux intéressants dans l’église de Robion, dont certains auraient peut être pu prétendre en priorité à une bonne restauration. Alors, pourquoi entreprendre la restauration de ce tableau en particulier  ?

Un modèle de la dévotion baroque

Le traitement iconographique du sujet situe ce tableau à une charnière de l’histoire de l’art et de la représentation.
Au-delà des chapelles rurales établies pour des pèlerinages locaux, pour l’usage de confréries ou encore à l’occasion de vœux, les églises paroissiales multiplient les chapelles et les autels, non seulement pour les besoins d’espace de communautés qui se développent, mais aussi pour répondre à la dévotion du peuple. Ces autels favorisent aussi bien les dévotions populaires anciennes (culte du saint patron, d’un intercesseur, d’un saint «  thérapeute  »), que les nouvelles dévotions qui se sont développées au XVIIe siècle et qui prennent de plus en plus de place au cours du XVIIIe siècle.
L’importance matérielle du tableau, la richesse du sujet ainsi que la valeur du cadre sont autant d’indices qui mettent en évidence la place qu’a pu avoir ce tableau dans l’espace sacré. Si l’iconographie des anciennes dévotions juxtapose souvent trois saints, dans des compartiments nettement identifiés, la représentation du Christ ou de la Trinité est dans la partie supérieure du tableau. Dans cette perspective, l’iconographie a moins pour but d’enseigner, que de représenter ou d’illustrer la dévotion.
Après le concile de Trente, le clergé entreprend de réformer, d’encadrer, de former et d’affermir la foi du peuple, mais aussi ses dévotions. Dans beaucoup d’œuvres plus anciennes, la représentation de la Sainte-Trinité est «  reléguée  » dans la partie supérieure du tableau, voire dans l’ornementation du cadre ou dans celui du retable. Ici, très clairement, la Sainte-Trinité occupe la place centrale, et les trois saints se répartissent de chaque côté du sujet central, et viennent comme soutenir l’enseignement porté. «  L’iconographie des nouvelles dévotions s’ingénie à rendre plus présents Dieu et la Sainte-Trinité, tout en utilisant les saints et la Vierge, intercesseurs favoris des anciennes dévotions  » 1. Cela est d’autant plus évident qu’il n’y a pas symétrie des sujets, comme si la Sainte-Trinité avait pris une place qui n’était pas prévue à l’origine, mais qui est sa place naturelle.

Représentation de la Sainte-Trinité

​Le sujet central est celui de la Sainte-Trinité, et la façon même dont le sujet est traité est riche d’enseignement. En tout premier lieu, on trouve de nombreuses représentations de la Sainte- Trinité, mais rarement en Provence, et tout aussi exceptionnellement de cette manière-là. Le caractère unique de cette représentation en fait tout son intérêt et sa valeur.
Le Père, tout en haut, est représenté sous la forme d’un homme barbu aux cheveux blancs, vêtu d’une tunique blanche, et d’un manteau bleu, une auréole discrète nimbe sa tête. Il a les bras écartés signifiant aussi bien l’offrande, le don, que l’accueil (celui du Père miséricordieux de l’Évangile de Saint-Luc, au chapitre 15). Son regard, grave, est tourné vers le Fils.
Le Fils, Jésus-Christ, est sur la croix, la tête penchée, et le côté transpercé, ce qui laisse penser qu’il est représenté après avoir expiré. Les bras étendus du Fils sur la croix, répondent aux bras ouverts du Père.
Entre le Père et le Fils, il y a une colombe, les ailes étendues, comme le sont les bras du Père et ceux du Fils. La colombe plane et descend depuis le Père vers le Fils. Il semble même faire parti du vêtement du Père, comme s’il était le fermail de son manteau.
Tout met en évidence que le Fils n’est pas abandonné par le Père. La croix semble être posée sur les genoux du Père, assis, et le Fils ainsi soutenu. Le manteau bleu, enveloppe la croix. Celle-ci est aussi portée par deux angelots, de chaque côté. Dans le mystère de la croix, le Fils qui s’offre librement en parfaite obéissance au Père et donne sa vie, manifeste le mystère de la Sainte-Trinité.

Un témoin privilégié de la piété, de la vie sociale et de l’histoire locale

Il y a trois saints qui sont représentés au pied de la croix : saint Sébastien sur la gauche du tableau, sans doute saint Éloi et saint Véran avec son dragon, sur la droite.

Saint Sébastien est clairement identifié : attaché au pilori de son supplice, et transpercé de flèches. Il a le regard tourné vers le Christ en croix. Ce saint était officier dans l’armée de Dioclétien, il était chrétien, et lors que cela fut découvert, il fut mis en demeure de sacrifier à l’empereur, sous peine de sanction contre cet acte de rébellion. Lié nu à un arbre, il servit de cible aux tirs de ses propres soldats et enfin tué par bastonnade. Son culte date du IVe siècle. Malgré cela, les détails que rapportent les «  actes  » de son martyre n’ont été rédigés qu’au Ve siècle. Il fut martyr à Rome vers 284 et il est fêté le 21 janvier. Il fut souvent invoqué dans nos contrées comme un saint «  thérapeute  » et intercesseur en particulier à l’occasion de graves épidémies. En effet, les flèches qui ont transpercé saint Sébastien, sont comme les flèches de l’épidémie qui a touché la population.

À la droite du tableau se trouvent saint Éloi et saint Véran.
Saint Éloi compte parmi les saints les plus populaires de France. Il est représenté immédiatement au pied de la croix, avec aube, chape dorée et mitre. Il a les mains jointes, indiquant qu’il prie. Son regard n’est pas tourné vers la croix, mais il semble méditer.
Éloi est né à Chaptelat, près de Limoges vers 588, de riches parents gallo-romains  ; son père s’appelait Eucher et sa mère Terrigie. Simple ouvrier, il avait appris le métier d’orfèvre à Limoges  ; il vint à Paris où il entra en relation avec le trésorier du roi. Son esprit d’épargne et ses talents le désignèrent à la faveur de Clotaire II, puis de Dagobert Ier, qui en fit son conseiller et le chargea de la frappe des monnaies  ; il se sanctifia dans ses fonctions et se signala par sa charité envers les pauvres. À la mort de Dagobert, il quitta le palais pour se préparer aux saints Ordres et devenir prêtre. Il fut choisi, par la suite, comme évêque de Noyon-Tournai  ; pendant vingt ans d’un magnifique rayonnement, il acheva, dans les régions du nord de la Gaule, l’œuvre d’évangélisation chrétienne commencée par saint Amand. Il mourut le 1er décembre 660.
Il est invoqué, dans nos régions, comme patron des ménagers. Le «  paysan ménager  » de ses biens, est un propriétaire produisant de quoi vivre pour lui et sa famille. Au-delà de la définition et du patronage historique, saint Éloi nous apprend, à son exemple, à ménager nos biens et nos talents, que se soient ceux de la Création, ceux que nous recevons par don ou héritage, ou encore ceux que nous avons acquis par notre travail. Une confrérie de saint Éloi est attestée depuis le XIVe siècle à Robion, et il est toujours fêté aujourd’hui le 1er dimanche de l’Avent. Au cours de cette fête, il y a toujours la bénédiction des pains de saint-Éloi. Même si aucun attribut ne permet de l’identifié, il y a tout lieu de penser qu’il s’agit bien de Saint Éloi, comme l’atteste la tradition orale.

Saint Véran est représenté aux côtés de saint Éloi, à sa gauche, mais devant lui. Il est aussi vêtu de l’aube, d’une chape dorée et porte la mitre. D’une main, il tient en laisse le dragon dont la tradition rapporte qu’il l’a dompté. Son autre main est sur son cœur, alors qu’il a le visage et le regard tournés vers le Christ en croix. Il semble saisi par le mystère qu’il a sous les yeux. Saint Véran fut évêque de Cavaillon à la fin du VIe siècle puis patron de la ville et du diocèse de Cavaillon (uni à celui d’Avignon en 1801). Il est fêté le 13 novembre. Saint Grégoire de Tours, qui l’a visité, a écrit de lui : «  Ce pontife était pourvu de grandes vertus en sorte que, souvent, avec la grâce de Dieu, il guérissait les malades par un signe de croix  ». (Saint Véran de Cavaillon - diocèse d’Avignon). Originaire de Barjac en Gévaudan, Véran fut agrégé au clergé local par l’évêque Evanthe le jour de la fête de saint Privat  ; ce dernier fut toujours pour saint Véran l’objet d’une grande dévotion. Prédicateur remarquable, après un pèlerinage à Rome au tombeau des saints Apôtres, Véran devint évêque de Cavaillon au VIe siècle. Il siégea au Concile de Mâcon en 585. Les actes conciliaires conservent de lui une lettre remarquable sur la chasteté sacerdotale. Il fit parti de la commission épiscopale nommée par le roi des Burgondes, Gontrand, pour enquêter sur le meurtre de l’évêque de Rouen, Prétextat, assassiné par la reine Frédégonde. En 587, le roi d’Austrasie, Childebert II lui demanda de tenir son fils Thierry sur les fonts baptismaux. Il serait mort un 13 novembre vers l’an 590 dans la ville d’Arles où il s’était rendu pour un Concile. Il fut inhumé dans l’église de Fontaine-de-Vaucluse qui possède son sarcophage mérovingien. Une partie de ses reliques fut transférée dans la cathédrale de Cavaillon.

Saint Sébastien nous rappelle les épidémies qui ont touché le pays au XVIIe et XVIIIe siècles. Saint Éloi, patron des ménagers, évoque la vie de ce petits propriétaires qui ont fait la vie et la richesse de la contrée. Enfin, saint Véran nous rappelle que la paroisse Notre-Dame de Robion faisait partie du diocèse de Cavaillon, bien plus, que le prévôt du chapître des chanoines de la cathédrale de Cavaillon était curé titulaire de la paroisse de Robion, pour laquelle il envoyait un «  vicaire perpétuel  » chargé d’assumer cette charge en son nom.

LA RESTAURATION

La restauration est estimée à 15 734,97 euros T.T.C. Elle bénéficiera d’une subvention de la Commission Gagnière du Conseil Départemental de 40 %. La paroisse de Robion, affectataire, a accepté, sur proposition de la municipalité, d’y prendre part à hauteur de 3000 euros. Le reste sera pris en charge par la municipalité, propriétaire de l’oeuvre.
Le tableau présente un fort empoussièrement de la couche picturale avec de nombreux soulèvements et une perte de matière de 30 % ainsi qu’un chancis généralisé. La toile est trouée en partie basse et les bords de tension sont déchirés.
Le cadre sculpté doré à l’or fin, daté du XVII°S, est très empoussiéré avec une infestation active des insectes xylophages et la dorure est fortement dégradée.

abbé Bruno Gerthoux, curé